Au coeur du célibat des agriculteurs

Plus d’un agriculteur sur quatre est célibataire en France. Comment expliquer ce chiffre, supérieur à la plupart des autres catégories socio-professionnelles ?

Christian, producteur de lait à Plouaret, est célibataire.

Christian, producteur de lait à Plouaret, est célibataire. © Photo Elen Rius

Avec L’Amour est dans le Pré, M6 a rendu visible le célibat agricole. « Il y a également des problèmes de célibat dans les grandes villes mais pourtant, on n’en parle pas dans les médias», explique Christophe Giraud, sociologue spécialiste du milieu de l’agriculture. « Il faut faire attention à ne pas confondre la réalité du terrain avec la médiatisation du sujet ».

Le sociologue reconnaît tout de même que les chiffres illustrent un vrai problème chez les agriculteurs. Gardant à l’esprit que « le célibat est un phénomène social avec des règles générales. Même s’ils sont plus touchés par le célibat, les agriculteurs subissent les mêmes contraintes sociales que le reste de la population française ».

Une particularité apparaît, le monde agricole est le milieu socio-professionnel le plus touché par l’endogamie. Cela signifie que les agriculteurs se marient la plupart du temps avec des agricultrices, dans 72% des cas*, elles-mêmes issues de familles d’agriculteurs dans 55% des cas*. Le plus souvent, ces femmes sont originaires des villes voisines.

Le lourd temps de travail des agriculteurs est l’autre particularité du secteur agricole. Cette charge ne cesse d’augmenter alors que, proportionnellement, leur revenu ne suit pas. C’est d’ailleurs parmi les producteurs de lait, l’un des secteurs les plus touchés par la crise, que l’on retrouve le plus grand nombre de célibataires.

*Selon le ministère de l’Agriculture

Christian, producteur de lait à Plouaret, enchaîne les journées de 12 heures de travail dans sa petite exploitation de 33 hectares. « Quand ce n’est pas plus, complète-il,  Les bêtes, c’est comme les enfants en bas-âge, on ne peut pas les abandonner. » En vingt ans, l’exploitant n’a pas pris un seul jour de congé. Difficile dans ce cas, de sortir et de rencontrer des femmes. D’autant que, chez les agriculteurs, deux tiers des rencontres amoureuses se font dans les lieux publics, comme les bals, les cafés ou lors des fêtes publiques.

Les agriculteurs ayant une charge de travail importante sont donc des célibataires en puissance. Certaines femmes, peut-être issues du monde agricole, excluent même la possibilité d’envisager une relation avec un agriculteur laitier, avant même d’avoir rencontré la personne, par peur notamment de la charge de travail. Publiée dans le Télégramme, une petite annonce de rencontre amoureuse, éloquente, précise : « Pas de producteur de lait. »

L’analyse des liens entre célibat  et taille de l’exploitation confirme que la problématique du revenu et de la charge de travail est au coeur du célibat agricole. Les agriculteurs avec les plus petites exploitations n’ont souvent pas la capacité d’employer d’autres personnes. En étant seuls dans leur ferme, ils doivent assumer son fonctionnement du matin au soir. Cet imposant temps de travail est donc un frein aux rencontres extérieures.

Dernier constat mis en relief des chiffres de l’INSEE, les agriculteurs sont beaucoup plus célibataires que les agricultrices. L’explication est simple, commente Christophe Giraud. « La plupart des agricultrices le deviennent une fois qu’elle se retrouvent en couple avec un agriculteur ». Dans le milieu agricole, l’homme est aujourd’hui encore, dans la plupart des cas, celui qui hérite de l’exploitation. Ainsi, on compte seulement 27 % de femmes chefs d’exploitation.

Les agricultrices qui ont repris l’exploitation ou qui se sont installées représentent seulement la moitié de ce chiffre. Et le chiffre est divisé par deux pour les agricultrices de moins de 30 ans installées récemment ou ont repris l’exploitation familiale.

Les agriculteurs qui répondent à ce profil semblent donc être prisonniers d’un cercle vicieux. Une charge de travail prenante les empêche de sortir et de rencontrer de nouvelles personnes. La question du revenu apparaît également comme une problématique centrale du célibat agricole. Les secteurs agricoles les plus en difficulté sont en effet les plus concernés.

Les données traitées dans les infographies proviennent du Recensement de la population effectué par l’INSEE en 2012. 

Atouma Diarra, Elen Rius & Louis Tanca