Jean-François : la terre amère

Dans une impasse financière, Jean-François* assiste à la mort lente de son exploitation depuis 2015. L’agriculteur costarmoricain se voit contraint de vendre la totalité de ses vaches laitières. Aujourd’hui, à 53 ans, il stoppe son activité d’éleveur. Portrait d’un homme désabusé.

Jean-François, agriculteur.

Aujourd’hui, Jean-François pense à se reconvertir. © Photo Elen Rius

 

Mi-janvier, le soleil perce les nuages dans une commune des Côtes-d’Armor. Chez Jean-François, une longère en pierre domine la cour. À notre arrivée, un chien traverse la terrasse en aboyant. Son maître le rattrape « Diane ! Diane ! Viens ici, nom de Dieu », lance l’homme aux cheveux grisonnants. Même s’il est un peu méfiant, ce quinquagénaire semble content d’accueillir du monde chez lui. Du Ricard, du vin, du pain et du poulet garnissent la table en bois de sa cuisine. La porte d’entrée donne sur une grande pièce regroupant un salon moderne et une cuisine équipée. L’intérieur de la maison est très récent tout en étant rempli de meubles anciens. Le carrelage est marqué par les empreintes boueuses du propriétaire. « Faites pas attention au sol, hein !? La bonne femme a pas fait le ménage… C’est une blague ! En réalité, je suis célibataire. »

Très vite, le vouvoiement dérange le paysan. « Vous pouvez me dire « tu » ! Je préfère. » Il raconte. « De 18 à 28 ans, j’étais salarié agricole dans une entreprise. Puis en 1990, lors du départ en retraite de mon père, j’ai repris la ferme familiale, seul. » Malheureusement depuis janvier 2015, bloqué financièrement, il a cessé de vendre son lait. « Avant j’avais une cinquantaine de vaches. Je les élevais selon un modèle intensif. Maintenant j’en ai plus que 25, mais elles vont sûrement partir la semaine prochaine », explique-t-il avec désarroi.

Déconnecté

Hier soir, trois de ses bêtes ont été vendues à un autre éleveur sur le marché de Guerlesquin. « Ça m’a fait un peu bizarre. Je ne suis pas resté longtemps là-bas, je suis rentré puis j’ai regardé la télé un peu tard… Le reste de mes vaches devrait prendre la direction de l’abattoir dès la semaine prochaine. C’est 2,50 euros le kilo de viande, donc ils me prennent une vache pour huit-cents euros environ. Mais cette histoire traîne depuis le mois de septembre, c’est dur de les voir partir », avoue l’agriculteur, déboussolé. « Depuis un an, je ne suis plus trop investi dans mon exploitation. Je soigne juste mes bêtes avant leur départ. » Un travail pour lequel il consacre en moyenne quatre heures par jour. Même constat quant aux tâches administratives. Jean-François s’efface, « je fais ça quand ça me prend ». Ne disposant d’aucune connexion Internet, l’agriculteur est censé gérer son exploitation par courrier. Mais il reste très évasif sur ce sujet.

En 2013, Jean-François finalisait les travaux de sa maison. © Photo Elen Rius

En 2013, Jean-François finalisait les travaux de sa maison. © Photo Elen Rius

Le présent s’avère terne. Et le futur ne s’annonce guère mieux. Sur un ton calme et reposé, ce petit fils d’agriculteur se souvient. « Quand j’étais petit, je bossais déjà à la ferme avec mes parents. En 1973, ma mère est décédée. En 1990, j’ai commencé à prendre les commandes de l’exploitation. Mon père m’aidait à la ferme. En 2007, nous sommes devenus propriétaires de la maison qu’on avait commencé à rénover. Mais en 2012, à 83 ans, mon père est mort de vieillesse pendant les travaux que j’ai finis par la suite. »

Détaché

À notre demande, Jean-François nous fait visiter sa propriété. De sa maison toute neuve aux vieux hangars en passant par l’étable. Un tracteur avec une roue crevée, des machines agricoles à l’abandon ou encore des vaches mal en point. Triste réalité. Une de ces bêtes ne parvient même plus à se hisser sur ses pattes. « Celle-ci est malade. J’ai arrêté de toutes les traire, il y a un an environ », explique-t-il en désignant ce qu’il reste du bétail. Son exploitation touche à sa fin. « L’année dernière j’ai démonté la salle de traite », raconte-t-il en se dirigeant vers un petit bâtiment totalement vide. Le fermier reste malgré tout attaché à cet environnement qui l’entoure depuis son enfance. Sa ferme a aussi une valeur sentimentale et familiale pour cet homme de 53 ans. N’ayant pas d’enfant, il ne se voit pas la vendre au premier venu. Même si ses bestiaux et ses machines vont à la mort, l’éleveur n’est pas fâché avec l’agriculture.

Le regard vide, il nous confie ses projets. « Oh bah je vais me consacrer aux céréales et puis peut-être que je devrais trouver un autre boulot à côté. Mais je ne sais pas encore dans quel domaine je vais me reconvertir. Je n’ai pas réfléchi à ça. Et puis les céréales, je n’ai pas encore commencé non plus mais je pense me concentrer sur la culture du blé et de l’orge. » Un futur proche plutôt incertain.

Au moment de la prise de photos, sa réaction est positive. « J’enlève mon bonnet et j’arrive », lâche-t-il avec un grand sourire. Dans le champ, accompagné de son chien, Jean-François s’amuse avec l’animal face à l’objectif de l’appareil.

Jean-François, agriculteur avec son chien, Diane.

« Allez Diane, va chercher ! » © Photo Elen Rius

De retour dans le salon où se tiennent sur de vieilles étagères, plusieurs photographies des mariages de ses neveux et nièces puis de leurs enfants. Nous évoquons alors le sujet de la situation quelque peu houleuse des agriculteurs en Bretagne. Jean-François n’est pas syndiqué. D’ailleurs, en ce début d’année 2016, il ne prend part ni aux manifestations, ni aux blocages de la RN12 qui ont lieu dans les communes autour de son exploitation.

Les subventions, quant à elles, ne suffisaient pas à conforter sa situation. Du 16 octobre 2013 au 15 octobre 2014, l’exploitant a reçu 16.445 euros d’aide annuelle par la PAC. Une somme venant soulager l’agriculteur dans ses dépenses, en partie pour le respect des normes européennes. Les agriculteurs doivent limiter le taux d’excrétion d’azote par vache laitière. Ce qui nécessite de les nourrir avec de l’herbe de qualité. Un maintien aux normes que l’éleveur ne parvenait plus à assurer, sans parler de la vente de ses produits. « Les aides de la PAC, on ne crache pas dessus mais le problème n’est pas là. Le souci, c’est le prix auquel nos produits sont achetés. Par exemple, en 1990, la tonne de blé s’élevait à 1.200 francs, aujourd’hui on la vend à 140 euros. » Soit une différence flagrante de 43 euros. Un problème récurrent depuis que les prix du porc, du lait, des vaches à viande ou encore des céréales dépendent du cours des bourses américaines. Bien loin des problématiques locales d’un agriculteur breton.

Avant de prendre la décision d’arrêter son activité, Jean-François produisait à perte. Un constat ô combien pénible à admettre, encore plus dans la sphère agricole. Un secteur dans lequel, par pudeur, les difficultés économiques sont souvent dissimulées. Aujourd’hui, Jean-François n’a plus de vaches et espère que la production céréalière portera ses fruits.

Sur le départ, nous lui demandons si nous pouvons le recontacter par téléphone. « Vous pouvez repasser. Ça sert à rien d’essayer de me joindre, mon téléphone déconne en ce moment. » En appelant l’agriculteur, l’opérateur nous informe que le numéro n’est plus attribué. La ligne est coupée…

* À la demande de l’agriculteur, le nom a été modifié.

Étienne Bracq & François Brulé