Jean-Paul Simier : « Les concentrations de fermes resteront marginales »

Produire plus efficacement en faisant face à la concurrence mondiale. L’agriculture intensive promettait de belles choses. Ce « modèle agricole breton » s’est développé dans les années 1960. Il connaît alors une période de croissance. Pourtant, « à partir de 1982, à la croissance continue succède progressivement la stagnation, voire la régression », explique Corentin Canévet, chercheur au CNRS et auteur du « Modèle agricole breton dans la crise ».

Photo de Jean-Paul Simier

Jean-Paul Simier est un agroéconomiste.

Depuis les années 1990, « la Bretagne s’est engagée à une « désintensification », précise Mélanie Gambino, du laboratoire Dynamiques rurales à Toulouse.
La dégradation des prix et des revenus agricoles engendrent une diminution du nombre d’agriculteurs. Mais qu’en est-il concrètement de l’avenir agricole breton ? Pour Jean-Paul Simier, agroéconomiste et directeur des filières agriculture et agroalimentaire au sein de Bretagne Développement Innovation*, l’agriculture bretonne ne peut miser sur la mondialisation ou les zones de libre-échange entre pays. Selon lui, la Bretagne ne verra pas émerger de nombreuses concentrations de fermes dans les années à venir.

Pourquoi assistons-nous à une diminution du nombre d’agriculteurs en Bretagne ?

La démographie agricole baisse inexorablement depuis la Première Guerre mondiale. C’est lié à la modernisation de l’agriculture. On a remplacé l’homme par la machine, la main d’œuvre a donc diminué. Avec la robotisation, avec la numérisation, ce phénomène va sans doute s’accroître.
Le plus souvent, ce sont les plus fragiles économiquement qui cessent l’activité. On observe surtout des non-remplacements dans les petites exploitations. Les enfants, ou d’autres successeurs, ne reprennent pas la ferme, qui sert alors à l’agrandissement d’une exploitation agricole plus grosse.

 


Comment voyez-vous l’avenir de l’agriculture bretonne ? N’y aura-t-il que de grandes exploitations industrialisées et robotisées ?

On n’en est pas encore là. L’agriculture en Bretagne, voire en France et en Europe occidentale, est caractérisée par ses petites exploitations. Aujourd’hui, la moyenne d’une exploitation agricole en Bretagne représente 55 hectares et deux employés. On est loin des exploitations de 1 000 à 3 000 hectares comme dans certains pays de l’Est, en Amérique du Sud ou en Océanie.
Je pense qu’à l’avenir les concentrations des fermes resteront marginales, même si ce n’est pas improbable que des coopératives, des entreprises ou des banques rachètent des exploitations. À l’opposé, on pourra voir émerger de nouvelles formes d’agricultures périurbaines, soit des agriculteurs qui s’installent sur de très petites surfaces pour faire des produits bio et approvisionner les marchés locaux. Entre les deux, il y aura sûrement des agriculteurs conventionnels, qui restent dans des systèmes plus classiques, ou des exploitants qui font des produits de qualité de type bio, sans vendre dans des circuits courts.

 

Qu’implique la libéralisation de l’agriculture ?

On est pris dans un dilemme : d’un côté, on veut faire plus de qualité pour l’alimentation et l’environnement, de l’autre, on est de plus en plus en concurrence avec des standards économiques et sociaux, qui ne sont pas les mêmes partout sur le marché mondial.
Une des difficultés, c’est la dégradation des prix et des revenus agricoles. Le recherche de la qualité ne tire donc pas vers le haut.

 

Quelles seraient les solutions pour éviter la dégradation des prix et des revenus agricoles ?

Je suis pas sûr que le marché mondial soit la bonne solution pour l’agriculture et l’alimentation. Je ne pense pas que faire des grandes zones de libre-échange agricole et agroalimentaire entre l’Europe et les États-Unis soit la solution. Or, l’alimentation n’est pas du boulon, ni des ordinateurs ou des téléphones portables. L’alimentation est vitale, c’est la survie de l’humanité.
Le problème principal, c’est la captation de la marge alimentaire par la grande distribution depuis 20 – 25 ans dans ce pays. Carrefour, Auchan, Casino… Aujourd’hui, ils sont les acteurs dominants du système agroalimentaire. La grande distribution est maîtresse du jeu, elle fait la loi.

Pourquoi passer par la grande distribution et ne pas favoriser les circuits courts ?

C’est sans doute quelque chose que le monde agricole a complètement loupé. Les grandes coopératives sont des coopératives de production pour acheter des produits, les vendre en gros et les transformer. Mais elles n’ont jamais occupé la dernière fonction : celle de vendre aux consommateurs. Elles ont laissé le maillon le plus important à d’autres. On est en train de s’en apercevoir, mais c’est un peu tard. Et c’est aussi au consommateur de se poser des questions sur ses modes de consommation. Moi, j’appelle ça le commerce équitable tout simplement.

 

*Bretagne Développement Innovation est une agence régionale qui met en œuvre des actions de promotion du territoire. Elle a été créée et est financée par le conseil régional.

Louise Raulais