La MSA, seul acteur désigné face au suicide agricole

600 par an. 500 en trois ans. Même si les chiffres varient selon les sources, le nombre de suicides en milieu agricole interpelle par son ampleur. C’est d’ailleurs la troisième cause de mortalité dans la profession. Alors qu’il s’agit d’un problème de santé publique, le ministère de l’Agriculture ne le gère pas directement. Il impose la responsabilité de sa prévention à la Mutualité sociale agricole (MSA). Sauf qu’au bout de la chaîne, ce sont surtout des bénévoles qui oeuvrent.

 

MSA

La MSA Armorique, dont le siège est à Saint-Brieuc, octroie un budget de près de
50 000 euros à la prévention du suicide agricole. © Photo Christophe Magat

« Agri’écoute, bonjour… » Après trois minutes et quatorze secondes d’attente, une femme décroche. Nous nous faisons passer pour le fils d’un agriculteur en situation de mal-être. Attentive au moindre détail, la voix à l’autre bout du fil est posée et rassurante.

Agri’écoute est le seul dispositif national de lutte contre le suicide agricole. Ce numéro d’écoute a été créé en 2014 par la Mutualité sociale agricole, suite au programme national d’actions contre le suicide initié par les différents ministères.
Quand le ministère de la Santé prend directement en charge la prévention de ce problème de santé publique dans le milieu pénitentiaire ou médico-social, le ministère de l’Agriculture, lui, délègue cette charge à la seule mutuelle agricole. « On a un dispositif qui permet d’être présent auprès des agriculteurs », se félicite malgré tout Véronique Maeght-Lenormand, médecin du travail et pilote du plan national de prévention contre le suicide.
Si la Mutualité sociale agricole reste un organisme à but non-lucratif, l’équilibre financier est nécessaire. Avec 200 millions d’euros de déficit en 2014, par rapport à un trou prévu initialement à 400 millions, la caisse nationale de la MSA essaie de limiter les frais.
Elle s’appuie notamment sur des bénévoles pour la plupart de ses actions. Les associations SOS Amitiés et SOS Suicide Phénix mobilisent au total une cinquantaine de personnes à l’échelle nationale pour répondre aux appels sur la ligne Agri’écoute.
L’année dernière, 1 219 personnes ont composé ce numéro. Cela ne représente que 0,1% des paysans en France. Et encore, 65% des appels ne sont pas traités. « Soit parce que la personne a raccroché avant, par peur de parler, soit parce que la ligne est trop occupée et qu’il n’y a personne pour répondre », regrette Véronique Maeght-Lenormand.

Du ministère aux bénévoles, qui pour prévenir le suicide ?

Pour le nouveau plan de prévention contre le suicide de la MSA, une vingtaine de bénévoles supplémentaires devraient être mobilisés sur la plateforme d’appels entre 2016 et 2020. « Je suis simplement là pour vous écouter. Parfois, certains sont un peu attristés de savoir qu’il n’y a pas plus, mais en fait c’est énorme. C’est comme si vous parliez à un ami. Il vous répond quelque chose que vous n’aviez pas imaginé. Ça ouvre une voie… », rassure la bénévole de SOS Amitiés pendant notre appel anonyme à Agri’écoute. Si ce numéro apporte une aide psychologique importante, les agriculteurs attendent surtout des actions concrètes.

À l’image du ministère de l’Agriculture, qui impose à la MSA le poids de la prévention du suicide, cette dernière en délègue aussi la gestion aux caisses locales. Celles-ci mettent en place leurs propres actions, adaptées aux problématiques locales.
En Bretagne, pour la MSA Armorique, actions concrètes riment avec pièces de théâtre, conférences et bandes dessinées. « Pour la prévention du suicide, nous consacrons une enveloppe de 30 000 à 50 000 euros selon les années et les manifestations organisées », détaille Christine Gosset, responsable de la cellule prévention à la MSA Armorique.
Dans un territoire largement concerné par le suicide agricole, cette dernière a aussi créé son propre réseau de sentinelles. Des bénévoles, encore une fois. Ils sont trente-deux déployés dans les Côtes-d’Armor et le Finistère, formés par des professionnels comme Charles Coquelin, psychologue à l’hôpital psychiatrique Bon-Sauveur à Bégard et compétent en gestion de crise suicidaire.
En lien direct avec le monde agricole et la MSA, ces sentinelles sont aptes à repérer et dialoguer avec les agriculteurs en détresse, créer un réseau autour de lui pour enrayer ses difficultés, et avertir la MSA si le malaise s’intensifie. « Le bilan est très clair, explique Charles Coquelin. Au moins une dizaine de suicides ont été évités depuis la création de ce dispositif en 2013. Les sentinelles sur le terrain vont elles-mêmes vers les agriculteurs qu’elles sentent en situation de mal-être, puisque peu d’entre eux font la démarche ».
S’il reconnaît l’utilité d’un tel dispositif, le psychologue ne peut que constater l’impact relatif de l’action. « Le repérage n’est pas simple, il faut travailler sur 100 000 agriculteurs pour éviter 50 suicides ». Ce qui constitue une part minime de la population agricole.

Le système de sentinelles est inspiré d’une autre action lancée en 2011 : les veilleurs. Ces personnes étaient chargées de rester vigilantes sur l’ensemble de la population en prévention du suicide. Charles Coquelin était à l’origine de la formation de ces veilleurs. La MSA a alors fait appel à lui pour lancer une nouvelle formation et prévenir les risques sur la population agricole, en suivant la méthode Terra-Seguin enseignée à l’Université de Lyon. « Les veilleurs, tout comme les sentinelles, travaillent en réseaux de connaissances et ont permis d’éviter une trentaine de suicides depuis leur mise en place ». Charles Coquelin formera vingt nouvelles sentinelles en 2016 dans les Côtes-d’Armor.

Si la Mutualité agricole mise davantage sur la prévention, c’est qu’il s’agit là du seul terrain d’action qu’elle maîtrise vraiment. L’origine des difficultés rencontrées par les agriculteurs est très souvent financière. « La MSA ne résoudra pas nos problèmes économiques. Ce qu’on veut, c’est pouvoir vivre de notre métier », explique Pierre-Yves Lariven, éleveur de porcs à Quemperven.

 

« Chacun son rôle. Nous, médecins du travail, ne faisons pas la PAC, nous ne décidons pas non plus du prix du porc ou du lait. Nous pouvons seulement donner des échéances pour les cotisations quand le problème est économique. L’assistante sociale peut prendre le relais en cas d’isolement ou de conflits familiaux, et le médecin pour les problèmes de santé », décrypte Véronique Maeght-Lenormand.
La MSA ne peut donc être réellement présente que sur le plan social et psychologique. Et encore, la pudeur des agriculteurs enraye parfois ce mécanisme de prise en charge. En effet, dans la moitié des cas, ce n’est pas l’agriculteur lui-même qui exprime son mal-être mais son entourage ou des professionnels, comme le médecin traitant ou du travail, les banquiers et les associations.

« Dans la profession, personne n’expose ses problèmes »

Les moyens mis en place pour assurer le suivi des agriculteurs en état de mal-être sont eux plus limités et parfois insuffisants. Une fois une situation de mal-être détectée, la MSA ne propose rien de plus qu’un rendez-vous avec un psychologue. Un rendez-vous qui dépend de la volonté de l’agriculteur d’être aidé. « Dans la profession, personne n’expose ses problèmes. Par fierté, amour-propre et refus de l’échec », confie Benoît*, un éleveur.
Malgré toutes ses campagnes de communication, la MSA reste dans l’esprit des agriculteurs qu’une simple mutuelle. « Nous payons nos cotisations à la MSA et c’est tout. Mais si on en a besoin, on sait qu’elle est présente et peut nous soutenir », atteste Pierre-Yves Lariven, éleveur de porc.
Du côté de la MSA, on s’en contente. « Notre système de prévention contre le suicide est envié par les autres mutualités, notamment celle de la police », annonce fièrement la docteur Maeght-Lenormand.
L’image d’une mutualité investie dans la lutte contre le suicide agricole s’est installée, alors même que certains agriculteurs méconnaissent le système. Et que son efficacité est relative.

Si l’agriculteur se suicide, la question de l’indemnisation se pose. Une question qui reste sensible. En effet, pour que le suicide soit considéré comme accident du travail, il faut fournir de nombreux éléments justificatifs. Un médecin doit attester du suicide, ce qui n’est pas systématique. Il faut aussi pouvoir prouver le caractère soudain de la mort. Autrement dit, si l’agriculteur était déjà en dépression ou atteint d’une maladie grave, le suicide ne sera pas considéré comme accident du travail. Enfin, le décès doit avoir eu lieu sur le temps de travail de l’agriculteur et sur son lieu de travail. Tous ces éléments rendent compliquée la reconnaissance du suicide comme accident du travail et donc l’indemnisation des familles par la MSA.

*Le prénom a été modifié

Félix Baranger, Mathilde Delacroix, Donovan Gougeon & Christophe Magat