Pas de vacances pour les agriculteurs

À entendre les agriculteurs, leurs loisirs, leur famille ou encore leurs relations sociales sont régis par un facteur : le temps de travail. La réalité est plus nuancée.

Françoise Louis s’occupe de la partie administrative.

Françoise Louis s’occupe de la partie administrative qui leur prend de plus en plus de temps. © Photo Etienne Bracq

54,7 heures. C’est le temps de travail hebdomadaire des agriculteurs selon l’Insee. Des semaines bien plus longues que les 35 heures légales. Pourtant, le nombre d’heures travaillées varie beaucoup dans le milieu agricole. « Selon la filière, on n’a pas du tout la même charge de travail. Un maraîcher n’a pas les mêmes horaires qu’un céréalier pendant l’été. Je travaille le jour alors que pour eux, c’est la nuit », explique Gildas Guyomar, maraîcher à Camlez. Chez les volaillers, le temps de travail hebdomadaire est moins important que pour d’autres professions agricoles. La quantité de travail se concentre sur quelques jours intenses. « Quand les dindes partent à l’abattoir, on travaille huit à dix heures par jour. Alors que normalement, on fait cinq à six heures sans forcer », décrit Éric Rolland, volailler à Ploulec’h. A contrario, chez les laitiers, le travail est régulier avec deux traites journalières. La plupart des éleveurs contactés déclarent travailler plus de dix heures par jour.

« Si tu ne vis pas le métier à 100%, tu coules », continue Éric Rolland. Ne pas travailler le week-end ou se faire remplacer pendant les vacances peut être mal vu par les anciens agriculteurs. « À l’époque, consacrer du temps pour un loisir autre que manuel faisait de toi un fainéant. Il y avait toujours du boulot à la ferme ». Aujourd’hui, les vacances ne sont pas encore ancrées dans ses habitudes. « Quand nous avons confié les clés de la ferme, ça nous a coûté très cher. Tous les jours on avait peur pour nos bêtes », poursuit le volailler. « Je n’arrivais pas à me reposer. Depuis je n’ai plus jamais voulu partir en vacances ». Les conditions météorologiques représentent aussi une source de stress pour les agriculteurs.« Contrairement aux gens travaillant dans les bureaux, leur métier tourne autour de la nature. Il y a un stress quand les conditions ne sont pas bonnes, car ils ne peuvent pas forcément travailler et perdent du temps », explique Yann Divry, psychologue et ex-rédacteur en chef de la revue Sigma.

Françoise Louis, femme d’éleveur de bovins, indique devoir faire « au moins une heure de paperasse chaque jour » pour ne pas être débordée. Retraitée, elle aide son mari pour lui permettre de souffler. « Une fois par mois, nous consacrons notre dimanche à la comptabilité » reprend Éric Rolland. Cotisations MSA, factures, déclarations d’arrivée ou de départ… Les feuilles s’accumulent sur les bureaux des agriculteurs. Malgré un gain de temps avec les télédéclarations, les agriculteurs dénoncent une augmentations des tâches administratives. « Je passe au moins deux jours par semaine dans les tâches administratives. A chaque arrivée et départ d’animaux, on doit remplir un formulaire », détaille un éleveur porcin lors d’une manifestation.

 

« Mon chien est devenu fan des tours en voiture. » Et pour cause, Jean-Michel Louis parcourt les trois kilomètres entre son pavillon du bourg de Ploulec’h et sa ferme quatre fois par jour. Dans sa commune, Jean-Michel Louis est une exception. Cet agriculteur de 58 ans vit en dehors de son exploitation depuis une dizaine d’années. 
« Quand j’ai divorcé en 2004, j’ai dû revendre la maison familiale, explique l’éleveur. Depuis, j’ai eu la chance de rencontrer ma femme, Françoise, qui m’héberge dans son plain-pied depuis 2006. »
La distance reliant son lieu de vie et sa ferme n’ont pas changé ses habitudes : chaque matin, à 7h15, Jean Michel retrouve ses 150 charolaises, limousines et autres blondes d’Aquitaine. « Ne pas vivre à la ferme, c’est la liberté. Quand je rentre au bourg, je ne pense plus à rien. »
Ne pas vivre sur place est aussi un moyen de quitter peu à peu la ferme. Dans moins d’un an, son fils Pierre laissera son poste de chef de chantier pour reprendre la ferme familiale. « Il a hâte de reprendre l’exploitation », se réjouit Françoise Louis. Une hâte aussi partagée par le père : « Dans moins de deux ans, je travaillerai beaucoup moins, et dans l’idéal, j’arrêterai dans trois ans. »

Étienne Bracq & Yann Le Ny.