Reprendre la ferme de ses parents : « le cadeau empoisonné »

En dix ans, la Bretagne a perdu près de 30% d’actifs familiaux dans le milieu agricole. Aujourd’hui, l’agriculture n’est plus seulement une histoire de famille. La seule idée d’une terre à hériter ne dicte plus l’avenir professionnel des enfants. Les métiers de la terre semblent désormais de plus en plus des professions choisies.

Transmission familiale from Paysans à terre on Vimeo.

Lorsqu’un agriculteur laisse sa ferme à ses enfants, ce n’est pas qu’un métier qu’il lègue : c’est une vie. Une exploitation, ce n’est pas uniquement des machines, des bêtes et des démarches administratives. Pour Dominique et Gilbert, c’est une fierté de transmettre cet héritage à leurs enfants. Mais quand la transmission est essentielle aux yeux de certains agriculteurs, elle est un cadeau empoisonné pour d’autres.

811.000 actifs familiaux en 2010 :
L’Insee définit les « actifs familiaux » comme toutes les personnes de la même famille qui travaillent sur une exploitation agricole familiale. En Bretagne, on dénombrait 1.155 millions d’actifs familiaux en 2000. Dix ans plus tard, ils n’étaient plus que 811 000.

L’amour de la terre… au point d’en faire son métier ?

Dominique Thomas, éleveur à Lampaul-Ploudalmézeau.

Pour Dominique Thomas, éleveur à Lampaul-Ploudalmézeau (29), ce métier était un choix. Il a hérité de la ferme de son père, et forme actuellement son fils qui en sera le successeur. Tous les trois travaillent sur la ferme. © Photo Tara Lagoutte

Parfois, les enfants d’exploitants éprouvent l’envie de suivre les traces de leurs parents. Ils savent que ce métier sera difficile, c’est pourquoi ils ne se ferment aucune porte. Pour éviter les situations précaires, ils envisagent alors de se tourner vers des formations. C’est le cas par exemple de Léonard Guézénoc, étudiant en BTS agricole au lycée Pommerit Jaudy dans les Côtes-d’Armor. Son grand-père paternel était agriculteur à Kerlouan, dans le Finistère. Son père a hérité des trois hectares et de la serre. Léonard aimerait prendre la relève.
« Tout petit déjà, j’aimais aider mon père au champ », se souvient-il. Le jeune finistérien a conscience des difficultés actuelles du métier. « Je garde l’envie d’être agriculteur, mais je voudrais un plan B au cas où. Je m’oriente vers la gestion, et j’aimerais faire plus tard un contrat professionnel dans une banque. » Ce qui l’aiderait aussi à gérer la ferme.

 

Les enfants réticents à reprendre la ferme indiquent souvent deux raisons : ils assistent aux difficultés de leurs parents et aspirent parfois à d’autres métiers.

 

Fille d’agriculteur à Pléboulle dans les Côtes-d’Armor, Noémie voit son père se lever aux aurores, rentrer tard, fatigué…  « Ça m’a vite dégoûtée, j’ai vu que c’était dur. » Bien souvent, les départs en vacances sont une source d’inquiétudes, quand ils ne sont pas tout simplement écartés par la famille.

À Arzal dans le Morbihan, Bérengère, en seconde année de psychologie, raconte. « Avec mes deux frères et soeurs, on a tous eu une période où on aimait aider notre père à la ferme. Mais aucun de nous n’a envisagé sérieusement devenir agriculteur. »

Noémie Daniel

Noémie Daniel ne veut pas reprendre la ferme de son père, Alain. Elle est actuellement étudiante à Brest, en prépa littéraire. © Photo Yuna Cojean

Reprendre l’affaire pour sauver la ferme

Pour la plupart des agriculteurs rencontrés, ne pas transmettre à leurs enfants n’est pas un problème. Mais ne pas transmettre du tout est un crève-cœur. Paul-Gildas, agriculteur arzalais et père de Bérengère, pense vendre la ferme à son salarié. Celui-ci connaît le métier et le seconde depuis longtemps. Le producteur de lait voit en lui la même passion que la sienne. Cette succession lui semble donc évidente. Mais il est rare dans les petites exploitations que l’agriculteur ait un employé à qui léguer la ferme. C’est pourquoi certaines exploitations sont bien souvent abandonnées, faute de repreneurs.

Des solutions contre l’abandon des fermes

Farm dating affiche

Exemple d’affiche pour “Farm Dating” en Vendée. (source : salon Tech’Elevage 2015 )

Face au réel problème que pose la transmission dans le milieu agricole, certains conseils régionaux ont décidé de prendre le taureau par les cornes. En Vendée, le concept de l’« Apéro Farm Dating » semble séduire, puisqu’une troisième édition a eu lieu en 2015. Le principe des « Farm Datings » est calqué sur le modèle des rencontres amoureuses en accéléré. En une dizaine de minutes, les exploitants expriment leurs projets d’installation et/ou d’association à de potentiels successeurs. L’idée est partie d’un constat. Les agriculteurs qui veulent transmettre leur ferme disent : « on n’a personne ». Ceux qui cherchent à s’installer disent : « on ne trouve pas ». Ces rencontres qui se multiplient dans l’Ouest de la France restent toutefois encore très peu nombreuses.

La loi d’avenir pour l’agriculture du 13 octobre 2014 a, quant à elle, renforcée les missions des Chambres d’agriculture concernant la transmission. Un répertoire « départ/installation » a été créé pour lister les exploitations à reprendre. Les propriétaires de ferme s’y inscrivent afin que le Conseil d’expertise comptable (Cerfrance) de leur département évalue leur potentiel économique. La plupart des agriculteurs sur le départ cherchent à transmettre leur exploitation. Que les fermes restent dans le giron familial ou qu’un repreneur motivé prenne la suite, la transmission est une question rendue délicate par la conjoncture économique.
En parallèle, un constat s’écrit. Les agriculteurs acceptent majoritairement que leurs enfants ne reprennent pas la ferme. Certains vont jusqu’à en éprouver un certain soulagement.
Ce qui compte réellement pour les agriculteurs, c’est donc que leur ferme leur survive.

Aurore Bayoud, Yuna Cojean, Tara Lagoutte & Auriane Poillet

Vidéos Prat from Paysans à terre on Vimeo.