C’est bio pour le moral ?

Par conviction, par goût, pour contourner la crise, ils ont choisi de produire bio. Et ils s’en portent bien.

C'est bio pour le moral ?

L’étiquette verte du bio prend de plus en plus sa place dans les rayons des supermarchés. © Photo Cloé Magister

Les produits bio ont l’étiquette éthique qui séduit les consommateurs. Le travail de production, lui, semble en retirer une image plus positive. De quoi pousser de plus en plus d’agriculteurs à se convertir au biologique, pour suivre l’engouement des consommateurs.

Cette alternative, qui rejette totalement les produits chimiques du processus de production, a pour objectif premier de mieux respecter le vivant et l’environnement. Le modèle agricole semble promettre des débouchés économiques mais permet aussi aux exploitants d’avoir une meilleure estime de leur travail. Alors, heureux, les agriculteurs bio ?

Pas si simple. Le bio, c’est se soumettre davantage aux aléas des phénomènes naturels. En cas de catastrophe naturelle, les dégâts sont moins facilement rattrapables qu’en agriculture conventionnelle : les exploitants ne peuvent pas avoir recours aux aides phytosanitaires. Christophe Grojan et sa femme, maraîchers bio à Plestin-les-Grèves, rencontrent ces difficultés au quotidien. « Les contraintes météo et humaines, les facteurs économiques… Tout ça fait qu’on peut avoir une très bonne ou une très mauvaise année », expliquent-ils.

« On peut avoir des périodes de désillusion totale »

Agriculture biologique ou pas, les inconvénients sont-ils les mêmes ? Une chose est sûre : cela reste d’abord de l’agriculture. Pour Christophe Grojan, il s’agit d’un métier « très difficile physiquement, intellectuellement et émotionnellement parlant. Si on regarde comment on est payé pour les heures qu’on fait, on ne le ferait pas. On peut avoir des périodes de désillusion totale. » Cette désillusion, Marie Sylvestre, qui a été éleveuse de chèvres dans le Finistère pendant neuf ans, l’a ressentie.

Pour elle, qui a choisi de vendre son exploitation, « il y a des moments où l’on se sent vraiment seul et où il faut aller chercher des solutions parce qu’on n’a pas d’aide technique dans le bio ». Une réalité brutale, qui peut rattraper ces agriculteurs. Ils doivent en effet concilier une projection peut-être idéalisée du métier, avec la réalité d’une situation qui les confronte à des difficultés. Pourtant, ce sont leurs idéaux qui les poussent à continuer. L’agriculture bio, c’est d’abord une question de choix assumé. Ce qu’explique Marie, qui a encore du mal à parler de son métier au passé. « Le bio me correspondait et ça ne représentait pas énormément de contraintes par rapport à ce que je voulais. Je n’aurais pas fait autrement même si on me l’avait demandé. Je suis fière d’être paysan parce que c’est un vrai choix. Ce n’est pas du tout dévalorisant pour moi, au contraire. »

« C’est un parcours de vie »

Christophe Grojan, lui aussi, y a trouvé son compte. Pour le maraîcher, ce mode de production est « un parcours de vie. On consommait bio avant de se lancer dans le maraîchage. La question ne s’est même pas posée ! » En dépit des contraintes techniques, c’est « produire naturel », sans adjuvant chimique, qui motive les agriculteurs à choisir le bio. « On ne retourne pas en arrière. C’est simplement distribuer les cartes autrement », explique le paysan costarmoricain.

Anne et Eugène Le Guerroué, propriétaires d’un verger biologique de huit hectares à Guidel, dans le Morbihan, voient quant à eux leur production comme un moyen de « boucler la boucle. » Ils achètent des produits biologiques et en consomment au quotidien, pour ensuite en proposer à leurs clients. « Le bio, ça a toujours été quelque part au fond de notre esprit », se souviennent-ils. Pour eux, comme pour Sébastien Le Romancer, qui va bientôt reprendre son exploitation, produire bio permet avant tout de proposer un résultat naturel dans toutes ses étapes de fabrication.

La rentabilité, facteur de décision ?

Les cidriers bretons ont adopté un mode de vie totalement conforme à leurs idéaux, ce qui leur rend la vie plus facile. « On respecte la nature. Il y a trente ans, on faisait déjà ce qu’on fait aujourd’hui, à la seule différence que ce n’était pas affiché bio. » Ils estiment toutefois que cette façon de produire n’est pas assez soutenue par la politique actuelle.

En 2012, ils ont converti leur exploitation au bio. Pour des questions de rentabilité ? « C’est une question de principe, pas de prix », tranchent-ils. Chaque agriculteur fait ses choix et pour le couple, « l’agriculture est multiple : il y a plein de possibilités ». Certains agriculteurs ont, quant à eux, fait le choix du bio avant tout pour ses promesses de marges supérieures. Philippe Prigent, producteur de lait à Ploumilliau dans les Côtes-d’Armor, a changé de modèle suite à la crise agricole de 2009 qui voit la profession réclamer des plans d’aides à l’Etat. « Économiquement, ça devenait très tendu. On avait sans doute besoin d’évoluer et on ne voulait vraiment pas finir notre carrière sur une note aussi pessimiste. » Pour lui, le bio est de plus en plus vu comme une solution pour les agriculteurs conventionnels. « C’est surtout un modèle économique pour nous », avoue-t-il avant d’ajouter : « l’avantage, c’est que le produit final est vendu un peu plus cher. »

Toutes ces trajectoires de vie, de la production de cidre au maraîchage, se rejoignent sur un point : malgré des difficultés techniques indéniables propres à l’agriculture, le bio est une alternative et un mode de vie qui les rend globalement heureux dans leur quotidien. Christophe Grojan le confirme : « on y a cru, on y croit toujours. »

Le bio, un effet de mode? Du côté des consommateurs, le « 100% naturel » attire de plus en plus. En 2014, 9 français sur 10 ont déjà consommé bio, contre sept sur dix en 2013. Les agriculteurs suivent cette tendance, comme l’indique le nombre d’exploitations en constante augmentation. Avec près de 2.000 exploitations, la Bretagne est classée au septième rang national en terme d’agriculture biologique, derrière l’Alsace et l’Aquitaine. Un chiffre jamais atteint jusqu’à présent. Les exploitations bretonnes produisent majoritairement du lait et des légumes.

Manon Le Roy Le Marrec, Cloé Magister, Salammbô Marie & Mathilde Sire.