Yves Le Faucheur : « Sans l’agriculture intensive, je n’aurais pas pu élever mes enfants »

Yves Le Faucheur était agriculteur, à Rospez, dans les Côtes-d’Armor. Son père avant lui. Ses fils après lui. Figure du syndicalisme agricole dans le département, il défend une certaine idée de l’agriculture qui se veut à la fois technologique et respectueuse de l’environnement : le modèle « écologiquement intensif ». C’est aussi celui que ses fils ont choisi.

YLF Portrait

Pendant quinze ans, ce septuagénaire a été vice-président de la Chambre d’agriculture des Côtes-d’Armor. © Photo Auriane Poillet

Maximiser la production grâce à la main d’oeuvre, au matériel et aux intrants (fertilisants et pesticides). Jugée peu respectueuse de l’environnement, l’agriculture intensive ne manque pas de nourrir le débat autour des modèles de production. L’opinion a mis sur son dos les nombreux scandales alimentaires qui ont éclaté ces dernières décennies. Comme le montre l’affaire de la viande de cheval ou de la grippe aviaire , l’agriculture intensive a mauvaise presse.

« On n’est pas riche, mais la maison est à nous »

Ce modèle de production reste le plus répandu en Bretagne. Dans cette région, la taille moyenne d’une exploitation représente une cinquantaine d’hectares. C’était le cas de la ferme d’Yves Le Faucheur, à Rospez, d’environ 25 hectares à ses débuts. « Quand un agriculteur a 200 hectares, il peut pratiquer l’agriculture extensive. Il n’est pas obligé de mettre de l’azote sur ses terres. Quand on n’a pas beaucoup de terres, on utilise des intrants. Moi, je n’avais pas le choix d’être en intensif, j’avais une petite exploitation. »

C’est ainsi qu’Yves justifie aussi le mode de production qu’il a adopté dans les années 1960. « J’avais quatre enfants et si je n’avais pas pratiqué l’agriculture intensive, je n’aurais pas pu les élever. »
Lorsqu’il s’installe avec sa femme, à son retour de la guerre d’Algérie, le paysan n’avait l’habitude de travailler qu’avec des chevaux de trait : « C’est à notre mariage qu’on a eu un tracteur. » Sans confort au début, cet ancien dirigeant de la FDSEA s’est ensuite « bien débrouillé. On n’est pas riche mais la maison est à nous », sourit-il.

Depuis une vingtaine d’années, trois de ses fils sont devenus agriculteurs. Ils ont repris le modèle intensif de leur père, en l’améliorant. Au fil du temps, ce mode de production a évolué. Selon Yves, ses enfants ne pratiquent plus une agriculture intensive mais sont sur un modèle « écologiquement intensif ». « Eux, ils utilisent moins d’intrants que moi. »

 

L’agriculture « écologiquement intensive », désormais répandue et parfois appelée « raisonnée », permet de se moderniser tout en respectant l’environnement, assurent ses défenseurs. C’est « donner à la plante et à la bête ce dont elles ont besoin pour produire. »Pourtant, « l’écologiquement intensif » est dénoncé par les écologistes. C’est « un concept fourre-tout, dans lequel on peut retrouver des pratiques de l’agro-écologie et même des OGM », s’insurge l’association Les Amis de la Terre. Une fédération qui est le terreau du mouvement écologique français

« Nous, les paysans, on est les premiers à entretenir la nature »

Mais ce modèle est-il viable ? Si Yves a connu les Trente Glorieuses, ses enfants ont plus de mal à s’en sortir économiquement, à cause de la crise agricole, selon lui. « La pire qu’on n’ait jamais connue. »

 

YLF Serre

Dans sa serre, Yves Le Faucheur cultive le cresson et d’autres légumes qu’il ne commercialise plus. © Photo Auriane Poillet

Le Rospézien se définit comme un amoureux de la nature. « Ça m’a fait du mal quand les écolos nous on tapé dessus », se plaint-il. « Nous, les paysans, on est les premiers à entretenir la nature. » Et pourtant, il a toujours travaillé selon ce modèle agricole intensif si décrié. « On a déformé ce mot, parce qu’on a voulu considérer que l’agriculture intensive utilisait beaucoup d’intrants. Alors que c’est faux », déplore l’ancien vice-président de la Chambre d’agriculture costarmoricaine. « On est un peu excessif. Si on supprime tous les produits, on aura des invasions d’insectes. Il faut les traiter sinon on ne produira plus rien. » Le contraire de ce que prône l’agriculture biologique. Une mode de production qui vexe Yves : « on nous présente un paysan bio qui pourrait presque traire à la main. Ce qui nous blesse parce qu’on a vécu comme ça. On n’a pas envie que nos jeunes connaissent ça. » Pour ce bretonnant de naissance, c’est l’agriculture telle que la pratiquaient ses parents, à savoir un « pas en arrière ».

Auriane Poillet & Louise Raulais