Les fermiers bretons toujours plus endettés

En Bretagne, le surendettement des exploitations agricoles est supérieur à la moyenne nationale de la profession (55,8% contre 41,86%, en 2014). Ce taux ne cesse de s’accroître et pèse de plus en plus sur les finances et le moral de nombreux agriculteurs.

Agriculteur

Jean-Charles Huguet, producteur de lait à Maxent, est endetté à plus de 115%. © Photo Alexandre Bergalasse

 

« J’ai cherché sur internet ce que signifiait avoir 46 ans : ça serait l’âge de la prospérité », ironise Didier Le Mercier, ancien producteur laitier à Plouha. En 1998, il reprend l’exploitation de ses parents et effectue son premier prêt (8.500 euros), qui s’étale sur douze ans. Il comprend l’achat d’un nouveau troupeau et couvre le paiement du contrôle laitier : « Je n’avais pas beaucoup de sous pour démarrer. Après ça, j’ai décidé d’arrêter les emprunts et de faire le reste en auto-construction », raconte le Costarmoricain. Quelques années plus tard, il décide finalement d’investir dans un nouveau bâtiment pour agrandir sa ferme. Malheureusement, il subit successivement la hausse du prix du foncier (multiplié par deux) ainsi que l’augmentation du nombre de normes à respecter. « L’administration m’a mis le couteau sous la gorge. En 2006, elle m’a signifié que si je n’effectuais pas mes mises aux normes, je ne pourrais plus produire de lait », se remémore Didier Le Mercier. En 2009, le fils d’agriculteur est tiré vers le fond avec l’arrivée de la crise du lait. Le prix du produit, payé aux producteurs, passe de 0,35 euros à 0,28 euros/litre en une année. Ce qui entraîne une forte baisse de ses revenus, affaiblissant sa capacité de remboursement et son équilibre psychologique. « J’étais au fond du trou. Je n’arrivais plus à dormir. J’avais la tête prête à exploser et j’ai même pensé à me suicider », confie l’ancien agriculteur. En mars dernier, il décide donc de rentrer en maison de repos. « Quand on a un genou à terre, c’est très dur de se relever. Moi, je l’ai posé à terre. Mais j’ai choisi de me faire soigner, de prendre du recul pour parvenir à m’en sortir », assure-t-il. L’an passé, Didier a choisi de vendre son exploitation et de sortir du milieu agricole : « Beaucoup de gens quittent le métier. Moi aussi, j’ai jeté l’éponge. »

S’installer devient de plus en plus difficile

Le taux d’endettement moyen des agriculteurs s’élève à 42% en France, et à 56% en Bretagne toutes filières confondues (2014). Si ce chiffre a globalement stagné depuis le début des années 2000, il est reparti à la hausse depuis 2013. Le poids de la dette, lui, a connu de plus grandes fluctuations, dues en grande partie au coût de l’installation (284.650 euros en moyenne en 2013 en Bretagne). S’il est aussi important, c’est à cause de la forte concurrence entre les agriculteurs pour l’acquisition d’une même parcelle (6 candidats en moyenne en 2013), ce qui augmente mécaniquement leur prix. Là où le coût de l’installation était évalué à 180.000 euros en 2010, il dépasse aujourd’hui les 280.000 euros. Malgré les aides à l’installation, subventionnées par l’État, les producteurs connaissent des difficultés à rembourser. « On a acheté notre cheptel (exploitation, NDLR) 650 000€, auxquels il aura fallu rajouter, un an après, près de 40 000€ », détaillent Jean-Charles et Sarah Huguet, producteurs de lait à Maxent (35). Cet investissement est nettement supérieur au coût moyen de l’installation car la plupart des agriculteurs, au contraire du couple, prennent la suite de leurs parents (lien vers l’article sur la transmission).

 

Portrait fictif jeune agriculteur from Paysans à terre on Vimeo

 

Qu’est-ce que sont le taux d’endettement, le poids de la dette et les prêts bonifiés ? Le taux d’endettement mesure le niveau de la dette d’une entreprise par rapport à ses fonds propres.
Le poids de la dette désigne les frais financiers et remboursements des emprunts, rapportés aux bénéfices tirés par l’exploitation.
Les prêts bonifiés sont complémentaires aux prêts classiques, dont l’État prend en charge une partie des intérêts pendant cinq ans de manière dégressive.

Installés depuis novembre 2007, les fermiers ont dû faire un emprunt s’étalant sur douze à quinze ans pour acheter l’exploitation, qui venait d’être mise aux normes de l’époque. Récemment, ils ont investi dans un tracteur de 30.000 euros. « Si ce n’est pas un achat obligatoire, comme celui-ci, on ne le fait pas. En ce moment, on se serre vraiment la ceinture financièrement », assure Jean-Charles Huguet, éreinté par sa situation. Aujourd’hui, le couple ne dégage presque plus de revenus de son exploitation (295 euros en janvier) et vit surtout du RSA, des allocations familiales et des aides de la PAC. Ce qui représente environ 1.400 euros par mois pour vivre avec leurs trois enfants. « Jusqu’à la crise de 2009, on dégageait des revenus corrects. Ensuite, on a commencé à toucher le RSA. En 2011, on a réussi à s’en sortir puis on a eu des accidents privés* qui se sont enchaînés. Ce qui nous a fait perdre entre 60.000 et 80.000 euros ». À cause de cette mauvaise gestion économique liée à des imprévus de la vie, l’exploitation est aujourd’hui considérée, par les banques, comme un risque financier.

Lorsqu’un agriculteur n’est plus capable de rembourser l’intégralité de ses dettes, il risque de se retrouver interdit bancaire, voire en dépôt de bilan dans le pire des cas. Conséquence : toutes les dettes accumulées avant le dépôt de bilan seront gelées. Un plan de financement de l’exploitation est alors mis en place. Après un an, les dettes sont englobées dans un plan de redressement proposé par la banque et discuté avec l’agriculteur en présence des experts du monde agricole.

La production laitière représente la majorité des exploitations agricoles en Bretagne (29,9% en 2013) et reste l’un des secteurs les moins endettés (50% en 2014). Mais, par rapport aux autres filières, le lait est l’une des rares productions dont le taux d’endettement a augmenté depuis 2007.

 

La montée des normes et le rôle des banques parmi les responsables

Comme l’a démontré Didier Le Mercier, les normes environnementales (réduction du taux de nitrates, etc…), imposées par l’UE et relayées par l’État, ont un poids prépondérant dans les finances des agriculteurs. En 2015, les aides du second pilier de la PAC (axé sur le respect de l’environnement), ont permis aux producteurs bretons de se répartir 72 millions d’euros. Ces dernières sont inégales puisqu’elles privilégient notamment les agriculteurs biologiques, minoritaires dans la région. Les Huguet en sont un contre-exemple puisqu’ils bénéficient d’une grande aide de la PAC (lien article sur la PAC) (40.000 euros par an pour les deux piliers).

André Corlay, responsable du service conseil aux entreprises de la Chambre d’Agriculture des Côtes-d’Armor, souligne que « ces normes ont un impact, parce qu’elles obligent les exploitants à investir pour éliminer les déjections des animaux. Cet investissement génère des coûts sans générer de bénéfices car l’exploitation ne le permet pas, ce qui vient accroître les dépenses et donc l’endettement ». L’État français a toutefois promis d’effectuer une pause au niveau de l’imposition des normes. « L’État calme le jeu pour réduire la pression mais, à un moment, il nous dira d’arrêter », prévoit M. Huguet.

« Les banques ne veulent plus nous prêter »

Actuellement, un autre acteur a sa part de responsabilité : les banques. Selon les agriculteurs, elles ne remplissent plus une de leur fonction principale, à savoir financer et soutenir les projets agricoles sur le long terme. « Comme les banques ne veulent plus nous prêter, ce sont les fournisseurs qui sont obligés de jouer leur rôle. Alors que ça n’est pas à eux de le faire », s’insurge Sarah Huguet. « Dans les moments difficiles, il s’agit de jouer le rôle de garde-fou : on a parfois l’impression de passer pour un gendarme mais il faut dire stop aux paiements », nuance Benoît Cavret, conseiller agricole à la Banque Populaire de l’Ouest. Les banques proposent un panel de solutions pour soutenir au mieux les paysans : ouverture de crédits, avances sur la PAC, accompagnement à court terme…

En 2014, 1.239 prêts bonifiés ont été accordés aux jeunes agriculteurs pour l’installation, contre seulement 17 pour les prêts à moyen terme des autres producteurs. Cette différence s’explique par le fait que les banques sont plus enclines à prêter aux jeunes, qui n’ont pas d’autres dettes à rembourser. Ils bénéficient également de nombreuses aides, à l’instar de la DJA (Dotation jeunes agriculteurs), qui accroissent leur capacité de remboursement. Les exploitants expérimentés, eux, ont déjà cumulé beaucoup d’emprunts et constituent un risque trop élevé. De plus, les versements de la PAC ne suffisent plus à combler les pertes malgré « l’année blanche » promise par le gouvernement, destinée au remboursement des dettes bancaires des agriculteurs en difficulté qui en feront la demande.

* Les deux interlocuteurs n’ont pas souhaité préciser

 

« Généralement, quand un agriculteur est en difficulté, une détresse apparaît, décrypte Jean-Charles Jacopin, président de Solidarité Paysan. Certaines personnes sont proches du passage à l’acte. On remarque aussi que lorsqu’il y a des problèmes économiques et une détresse, il y a eu un accident de la vie à côté. Ça peut-être une grave maladie du conjoint, un divorce ou une séparation. »C’est justement ce genre d’accident qui est arrivé aux Huguet, il y a quelques années. Actuellement, le couple est endetté à un taux proche de 115%.« On ne vit plus. À un moment, ça éclatera… », assène Sarah Huguet. Ce qui permet au couple de tenir, c’est la présence de leurs enfants : « Notre leitmotiv, c’est nos filles. Je pense qu’on serait dans une situation plus délicate si elles n’avaient pas été là », s’émeut Jean-Charles Huguet, la voix tremblante. Aujourd’hui, les exploitants souhaitent vivement l’arrivée d’un salarié pour les aider. Sinon, ils risquent la cessation d’activité et probablement la fin de leur exploitation.

 

Une vie de famille sur laquelle Didier Le Mercier n’a pas pu compter. « En 1999, j’étais célibataire et ce n’était pas pensable d’avoir une vie de famille. Je croyais trouver quelqu’un en réussissant dans le milieu. Mais je me suis vite aperçu que la boucle était fermée », confirme le Plouhatin. Une situation similaire à la plupart des agriculteurs qui ont touché le fond. L’ancien exploitant, qui est rentré en maison de repos en mars dernier après avoir tenté de mettre fin à ses jours, a vu en deux mois pas moins de 40 agriculteurs rentrer à l’hôpital de Bégard, pour des raisons semblables. Didier Le Mercier a vendu son exploitation à un jeune agriculteur. Mais cela n’a pas suffi à rembourser l’intégralité de ses dettes. Il devra attendre jusqu’en 2019 pour finaliser son remboursement. Si l’ancien agriculteur de 46 ans n’a pas encore totalement tourné la page, il a décidé de prendre un nouveau départ et vient d’obtenir un poste d’ouvrier en CDD. Hors de l’agriculture.

Alexandre Bergalasse & Vincent Naël
Dans la vie des Huguet…